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  • : Children of Mamoridou
  • : Children of Mamoridou est un projet d'alphabétisation d'une école primaire dans le Sud de la Guinée-Conakry à Mamoridou, El Hadj Filani Mamadi Camara.
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  • Liza Leyla est traductrice et auteure multilingue, elle est membre de la presse mondiale et collabore à diverses revues. Elle est marraine d'une école primaire à Mamoridou dans la préfecture de Beyla
  • Liza Leyla est traductrice et auteure multilingue, elle est membre de la presse mondiale et collabore à diverses revues. Elle est marraine d'une école primaire à Mamoridou dans la préfecture de Beyla
11 février 2023 6 11 /02 /février /2023 00:45
Philosophie et poésie

 

A propos de la « La Correspondance d’Héloïse et Abélard »

 

©Liza LEYLA

 

La philosophie en tant que discipline spécialisée exclut les moments d’émotion intense. Elle n’est pas la totalité d’expériences potentielles, mais elle n’est que la totalité des expériences qui posent la connaissance comme objective. Le penseur français Georges Bataille attire notre attention sur le fait que la philosophie devient décevante si elle n’exprime que l’expérience d’une existence médiocre et si elle ne prend pas en considération les émotions nées du vécu profond de la sexualité et de la mort, inhérent à une vie passionnée. La philosophie moderne – Bataille pense surtout à celle de Kierkegaard, Nietzsche et Heidegger – va à l’encontre de cette stérilité. Selon Georges Bataille, on pourra difficilement s’imaginer un philosophe qui s’abandonne au vertige né de la tentative d’englober les expériences extrêmes de la vie, à l’exception du philosophe qui peut rire de lui-même. Les sensations extrêmes apportent à l’ensemble des expériences potentielles un élément qui dépasse la réflexion sereine et qui nous confronte à un choix qualitatif. Elles amènent l’être humain à un état de confusion qui le porte hors de lui-même et qui exclut la réflexion sereine. On peut difficilement s’imaginer un philosophe qui serait tout le temps hors de lui. Si l’homme est ouvert à une possibilité qui frôle la folie – nous pensons ici au vécu intense de l’érotisme, de la conscience de la mort ou de la sainteté – alors il soumet la réflexion à l’insaisissable. Georges Bataille est un être extatique, et à ce niveau il diffère du surréaliste qui est rêveur. Dans la quête de l’extase, il s’éloigne du rêve propre. Pour lui, l’ écrit poétique est le fantasme des fantasmes qui les libère et les contient tous, et l’extase pure est le ravissement face au néant et au vide. Extase et rêve ont un point commun : l’amour de la nuit. Bataille aspire à la nuit du non-savoir.

Herbert Marcuse pose le problème du dépassement d’une existence médiocre dans la perspective de la liberté et de l’aspiration à la satisfaction dans un monde heureux. Si l’on veut continuer la productivité, on doit abandonner sa liberté transcendantale. Ceci est le principe de base du cercle vicieux du progrès. Marcuse considère l’énergie érotique comme un moyen pour échapper à des situations aliénantes ; elle cesse d’être purement sexuelle, lorsqu’elle devient réellement libre. Elle devient alors une force qui détermine l’organisme dans tous ses comportements, dimensions et objectives. L’organisme accepte à ce moment consciemment ce que le principe de réalité répressif ne peut accepter.

 

L’AMOUR GRATUIT

 

C’est dans la revue « Obliques », consacrée à la femme surréaliste, qu’Olivier Juilliard exprime l’essence de la correspondance célèbre, d’abord attribuée à Héloïse et Abélard (voir ma publication : Over de Minnebrieven va.n Heloise en Abelard. De Onbaatzuchtige Liefde, LL-Ed., februari 2023)

L’auteur de cet excellent article accentue suffisamment la double densité de la correspondance en question : d’un côté, elle est émaillée de références à la tradition greco-latine qui semble représenter une sorte de caution pour la transcendance de « l’amour fou » par rapport à chaque discours philosophique ou autre ; de l’autre côté, son contenu est animé par cette transcendance, et c’est ainsi que sa réalité dépasse la tradition et aboutit à une sorte de surréalité. Olivier Juilliard met en lumière qu’avec sa théorie sur l’amour unique, André Breton n’a adopté aucune attitude existentielle, et qu’il prône la vertu plutôt que de la mettre en pratique lui-même. La femme en tant qu’être créatif a été exclue de ses principes idéologiques et esthétiques. Si la femme surréaliste avait existé, alors elle aurait alors été traitée comme de la matière négligeable ( ). Malgré la position ambiguë du mentor André Breton, dénuée de richesse existentielle, le mouvement surréaliste apportait quand même une importante revalorisation du concept transcendance qui reçoit son actualisation particulière dans le terme surréalité. Loin de représenter une nouvelle métamorphose poétique, le surréalisme se veut un nouveau moyen de libération absolue. Cette libération implique la révolte comme principe de base : Cri de l’esprit qui se retourne sur lui-même, bien décidé à briser ses entraves (cf. la publication en néerlandais). Ce cri contient l’essence du lyrisme que les surréalistes déterminent comme le développement d’une protestation. Surréalisme signifie appel permanent. L’imagination, l’attribut par excellence de la séduction, sera le premier et le dernier refuge à une époque invivable dans laquelle le spectre de la productivité éteint chaque élan de spontanéité gratuite. Une époque où la poésie authentique, se posant au-dessus de tout conformisme, peut se maintenir grâce à son impact entraînant. Il s’agit d’une poésie qui dépasse la distinction entre esprit et matière, rêve et vie, désir et nécessité, dans un univers où les choses sont envahies par une métamorphose permanente ayant comme seule loi le désir, seule condition de la liberté absolue. Cette poésie est le refuge des forces subversives de la conscience, de toutes les forces psychiques que la pensée rationaliste a tenté de bannir de l’univers de l’homme civilisé. Bref, une poésie qui transcende le temps et l’espace dans toutes ses manifestations et pose sur chaque expérience existentielle son empreinte d’universalité.

Le caractère poétique du concept surréalité  permet un saut dans le temps partant du 20ème pour aboutir au 12ème siècle, siècle marqué par un bouleversement radical dans le culte de la femme, et ipso facto dans l’expérience amoureuse. On peut se demander si l’on peut placer la libération de cet être opprimé hors du contexte de l’érotisme sans le viriliser ou le nuire dans sa mystérieuse inaccessibilité ?

Il est évident que le saut vers la surréalité doit être renvoyé à son point de départ, la réalité. Et ainsi nous aboutissons de nouveau au 12ème siècle, période dans laquelle fut écrite la correspondance d’Héloïse et d’Abélard. Il est donc nécessaire de bien mettre en lumière le contexte historique du document en question sans toutefois négliger son aspect légendaire et mythique.

Dans cet essai, notre intérêt ira surtout à l’érotisme qui domine la Correspondance d’Héloïse et Abélard, comme elle jouera un rôle important dans notre problématique. Abélard doit d’ailleurs sa renommée en partie à un mariage secret qu’il a conclu avec sa jolie élève douée, et particulièrement à la correspondance qui leur a été attribuée. Cette correspondance a été d’abord située après l’événement catastrophique (castration d’Abélard qui a mis fin abruptement à leur liaison). Le personnage d’Héloïse là-dedans sera certes mis en lumière, car son attitude nous paraît plus intègre et authentique que celle d’Abélard, non seulement d’un point de vue philosophique, mais aussi du point de vue de son expérience amoureuse. Héloïse pousse ses idées jusqu’à l’extrême. En considérant un mariage avec Abélard, elle pose l’objection qu’un philosophe, destiné au monde entier, un ecclésiastique qui appartient à l’église, n’a aucun droit de s’engager dans le mariage. Héloïse préfère être la prostituée (maeretrix) d’Abélard. La cléricature est associée à la maîtrise de soi, le mariage à l’esclavage et à l’humiliation. Héloïse aurait subi dans de telles conceptions l’influence de Cicéron dont le traité De Amicitia est une défense de l’amitié désintéressée. Vrai humaniste, elle était riche en diverses sciences, et elle aura une certaine influence sur Erasme, qui s’inspirera de ses idées dans sa critique de la vie monastique. Les lettres qu’elle a écrites à partir du couvent Le Paraclet prouvent la profondeur de sa pensée. Héloïse se glorifie de sa dépravation et de sa volupté : Abélard est son Dieu, mais Dieu est absent de ses lettres. Son amour est une essence pure qui se justifie rationnellement. Dans son refus du mariage, Héloïse agit en accord avec les normes régnant à son époque. On doit faire un choix entre richesse matérielle et richesse spirituelle. La qualité de l’amour requiert la gratuité. On retrouve de telles idées dans l’œuvre de Simone de Beauvoir : le mariage augmente les obligations familiales et sociales...

 

(extrait de ma version française d'une publication 

"Over de Minnebrieven van HeloÏse en Abelard. De Onbaatzuchtige Liefde",,, LL-Edition, februari 2023,  18-19u.).

"Heloise&Abelard, Rencontre1" : entretien avec Mme B. Gruszczynska à la Librairie "Piola PIccola", St-Gilles le 23 décembre 2022.

 

Photo LL : Forêt de Soignes (promenade et recueillement).

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